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Un NON annonciateur d’une crise majeure, genre mai 68, avant 2010 ?

L’expérience de 1981-1983 n’a pas suffi : la France a voté NON, tentée par un repli faussement salvateur

lundi 30 mai 2005, par Laurent Simon


Résumé  : Les Français ont donc voté massivement (à 70%), et nettement pour le Non (55%). Ce vote confirme et amplifie les précédents avertissements (abstention grandissante, vote FN à la hausse, grandes grèves de 1995, séisme du 21 avril 2002, régionales et européennes 2004) à des hommes politiques peu courageux ou déconnectés des réalités.

Car ceux qui ont voté NON ont surtout exprimé un fort mécontentement par rapport à la situation économique et sociale du pays (à 40% et même 50%) : d’après un sondage "sortie des urnes" ils sont seulement 36% (c’est-à-dire seulement 20% des votants !) à avoir voté contre le Traité Constitutionnel, mais c’est l’Europe, la France et les Français qui en feront les frais.

Prenons un peu de recul. Puisque les événements majeurs se produisent tous les 20 ou 40 ans, le vote NON pourrait bien être en fait une réédition du vote de mai 1981 et l’annonce d’une crise majeure un peu plus tard (vers 2010, 40 ans après 68 ?).

En 1981 comme en 2005, le vote s’est fait par méconnaissance des phénomènes micro et macro-économiques. En 1981, c’était en dépit des nombreux avertissements des économistes.

Cette fois c’est malgré les avertissements des proeuropéens de toutes parts, et c’est la dynamique Européenne qui trinquera. La croissance française, déjà mal en point, s’en trouvera encore affaiblie, renforçant les problèmes économiques, mais aussi politiques et sociaux, à la fois pour la France et pour l’Europe. En France, les déficits budgétaires et de la Sécurité Sociale en seront renforcés, la dette publique continuera sa folle progression.

Paradoxalement, ceux qui subissent le plus la situation économique et sociale ont voté NON, c’est-à-dire finalement pour la continuation de cette situation, en accusant l’Europe, et non les vraies responsables : les "politiques" économiques françaises depuis 30 ans.

Car les "solutions" défendues par les tenants du NON font partie des causes des problèmes, et agraveraient le chômage : le protectionnisme ne ferait que renforcer ces problèmes, et les propositions de gauche aboutiraient à augmenter une fois de plus les prélèvements obligatoires, qui est déjà un record du monde.

L’Europe et les politiques de convergence de ces dernières années nous ont beaucoup apporté, mais les Français s’en rendent peu compte, et l’Europe sert de bouc émissaire. Le populisme prospère, à gauche et à droite, et les enseignements de la crise ouverte qu’a été la "sortie de route" de 1983 sont oubliés ou occultés.

Cette fois-ci la crise "économique" (mais sociale et politique en même temps) sera larvée, sur une longue période, avec une très forte incertitude ambiante. Une crise claire faciliterait la compréhension des phénomènes en jeu et la perte salutaire d’illusions tenaces. Mais une crise larvée compliquera voire empêchera cette évolution des schémas de pensée, chez ceux qui tant bien que mal s’accrochent à des idées du passé (mythe du grand soir, protectionnisme illusoire car inefficace, monopoles publics incapables d’agir suffisamment vite dans une économie en perpétuel mouvement, etc.).

Quelle crise majeure (en 2010, soit 40 ans après mai 68 ?) faudra-t-il donc vivre en France pour qu’une bonne part des Français comprenne enfin que le temps des théories fumeuses voire mortifères est fini ? Et que les nombreux défis posés à la planète imposent de construire des solutions dans le cadre du libéralisme ? Bien sûr toutes les approches libérales ne se valent pas, et l’ultra-libéralisme n’est évidemment pas une solution.

En attendant, la période de grande instabilité économique et politique que nous vivrons gênera les réformes nécessaires.

Sauf si, qui sait, des décisions courageuses étaient prises rapidement par le Chef de l’Etat ? Après tout, c’est peut-être ce qui le décidera à enfin aborder et traiter les questions clés ?

Développement  :

Les événements majeurs suivent des cycles de 20-22 ans

Il en est des guerres comme des crises et des moments importants, pour des pays ou des continents, voire pour le monde : ces événements importants obéissent à des cycles, souvent multiples de 20 ans.

Pourquoi ? C’est simplement l’arrivée d’une nouvelle génération, qui a besoin de faire sa propre expérience, ou qui avec son sang neuf et son énergie différente repose des questions essentielles.

Quelques exemples dans l’histoire récente :

En Europe :
- la guerre de 1870
- puis celle de 1914 (2 fois 22 ans)
- et celle de 1939 (21 ans après 1918)
- et 1992 (2 fois 23 ans après 1945) retour des guerres dans les Balkans (ex Yougoslavie)

Pour le monde :
- les deux guerres mondiales (21 ans entre 1918 et 1939)
- les événements de 1968, à la fois aux Etats Unis, en France et en Tchéchoslovaquie (23 ans après 1945)
- l’effondrement des régimes soviétiques et des pays d’Europe de l’Est [1] (21 ans après 1968), événement majeur pour le monde, suivi de très peu de la 1ère Guerre du Golfe (1991), en quelque sorte "3e guerre mondiale", et ce 23 ans après 1968.

En économie et en politique ces cycles d’une vingtaine d’années se vérifient également, pour la France :
- 1936 le Front populaire (22 ans après 1914)
- 1958 le retour de de Gaulle et la 5e république
- 1981 la gauche au pouvoir
- et le 21 avril 2002, 21 ans après 1981 ?

Ces périodes de environ 22 ans se retrouvent dans l’histoire de France également au 19e siècle : 1870 22 ans après la révolution de 1848, et 44 ans avant : 1804 Napoléon empereur...

Notons que le demi-cycle de 10-11 ans est également pertinent au niveau mondial :
- 1918 - 1929 (la grande dépression)
- 1939 puis 1945 deuxième guerre mondiale -
- 1956 (rapport Kroutchev) soulèvements de Poznan (Pologne) et Budapest (Hongrie), 1957 traité de Rome et Spoutnik
- 1968 événements aux Etats Unis, en France, en Tchécoslovaquie, 1969 1ers pas sur la Lune
- 1979 élections de Maraget Thatcher et (1980) de Ronald Reagan
- 1989 (chute du mur de Berlin) 1990 (1ère guerre du Golfe)
- 2000 (éclatement de la bulle internet) et 2001 (11 septembre).

Pour la construction de l’Europe :
- 1957 traité de Rome (12 ans après 1945)
- 1968 création de l’union Douanière entre les Six (11 ans après)
- 1992 création de l’Union Européenne et réalisation du Marché Unique au 31/12/1992 (24 ans après)
- 2004 une Europe à 25 et adoption du projet de Constitution Européenne (12 ans après)

et aussi :
- 1951 création de la CECA
- 1973 premier élargissement de l’Europe à Neuf (22 ans après)
- 1985 accords de Schengen (12 ans après)
- 1995 l’Europe des 15 (10 ans après)

Le vote NON : une réédition de mai 1981...

Le vote NON s’est confirmé le 29 mai 2005, c’est en quelque sorte une réédition, 24 ans après, du vote de mai 1981 : les économistes annonçaient une crise rapide par augmentation de la consommation intérieure sans qu’elle puisse être fournie par les entreprises françaises, et donc effondrement du Franc, etc. Ce qui n’a pas empêché les Français de voter assez nettement pour la réalisation du Programme Commun de la Gauche. Et les prévisions des économistes se sont réalisées tellement vite qu’il a fallu prendre le virage de "la rigueur" dès 1983, contre l’avis d’un éminent énarque : Laurent Fabius déjà...

A plusieurs titres les situations de mai 1981 et 2005 sont assez comparables. Dans les deux cas le chômage massif fait craindre l’avenir. L’impression qui s’en dégage est qu’il faut essayer autre chose. L’Europe et la politique "libérale" européenne sont perçues comme des facteurs principaux du problème. A tort. Et les illusions d’une "autre politique", étatique, reviennent sur le devant de la scène.

... par méconnaissance des phénomènes micro et macro-économiques...

Car depuis 20 ans, la grande méconnaissance des Français en matière du fonctionnement de l’entreprise, et de l’économie en général n’a pas beaucoup évolué. Il faut dire que l’éducation reçue à l’école ne favorise pas la compréhension d’une économie de plus en plus complexe, notamment avec toutes les questions liées à la mondialisation. Les enseignements reçus en économie avant le baccalauréat sont très souvent une caricature, avec l’accent porté sur un Keynesianisme mal compris, et simplifié à l’extrême.

Le fossé existant entre l’école et le fonctionnement de l’entreprise [2] et la vie économique en général [3] joue également beaucoup, et bien plus en France qu’ailleurs. Ainsi que bien sûr la réminiscence des vieux réflexes de gauche, la facilité d’utiliser des dogmes et slogans simplificateurs, non actualisés depuis les échecs patents de toutes les tentaives de socialisation des moyens de production. Et ce malgré les signaux fors qu’ont été la fin du stalinisme, l’échec des nationalisations y compris en France en 1981, et la chute du mur de Berlin.

Le déficit d’information en économie (malgré les moyens technologiques dont nous disposons), le fort impact des médias qui ne parlent que des plans sociaux, sans les mettre en perspective : 10 000 emplois sont pourtant créés et supprimés chaque jour ! [4], l’impasse faite sur les conséquences des déficits budgétaires chroniques, sur la dette colossale accumulée depuis 30 ans, la réticence des français à être actionnaires (ce qui fait que les bénéfices des sociétés "françaises" profitent à 50% aux sociétés et individus étrangers), tous ces éléments font le reste, "l’exception française" est bien réelle.

... en accusant l’Europe, et non les vraies responsables : les "politiques" économiques françaises depuis 30 ans...

Le paradoxe, c’est que si la France est dans une mauvaise passe, c’est en grande partie parce que ses gouvernants, de droite et de gauche, n’ont pas appliqué depuis maintenant 30 ans les principes d’une saine gestion des comptes publics (contrairement à plusieurs de nos voisins européens, qui en constatent les effets positifs sur leur économie), et que les déficits en tout genre, les dépenses publiques sans limite et les prélèvements obligatoires qui en résultent plombent les bénéfices des entreprises. Et limitent considérablement les investissements en France, créateurs de valeur et donc d’emplois, dont nous avons cruellement besoin pour retrouver une dynamique positive.

Ceux qui subissent le plus la situation votent pour sa continuation

Le paradoxe, c’est que ce sont ceux qui subissent le plus les conséquences de cette (absence de) politique économique qui ont le plus voté NON : les sans emploi, les salariés précaires ou non, du public ou du privé, qui vivent une pression très forte sans avoir le sentiment d’être payés en retour, du fait des charges salariales et patronales qui diminuent considérablement leur salaire net. Ils ont voté dans le sens qui ne fera qu’accentuer les difficultés économiques et sociales, et nous entrerons dans une phase d’incertitude dont les économies française et européenne n’ont vraiment pas besoin !

Les "solutions" du NON sont en fait les causes des problèmes

Le paradoxe, c’est qu’une des causes principales de la situation économique et sociale piteuse en France, à savoir le niveau démentiel des charges sociales qui pénalisent à la fois l’emploi, la consommation et la croissance, est "défendu" avec force par les tenants du NON. Eux qui n’ont pas (encore) compris que "trop de social tue le social", probablement faute d’être suffisamment sortis de France ou en tout cas d’avoir bien voulu regarder ce qui marche bien ailleurs, y compris à nos portes ; que ces charges publiques abyssales, loin d’être un avantage pour les salariés et les chômeurs, sont en fait un incroyable frein à l’emploi ainsi que, par exemple, à un véritable et efficace système de santé publique et à la qualité des soins ! [5].

Les avancées sociales du Traité sont réelles, mais elles ne consistent évidemment pas à faire la somme de tous les avantages corporatistes, y compris ceux qui sont le moins justifiés !

L’Europe nous a beaucoup apporté, mais a servi de bouc émissaire

Le paradoxe, c’est aussi que, bien qu’ils accusent l’Europe, les Français ont beaucoup bénéficié, sans le savoir, de la construction de l’Europe, et en particulier du marché unique (1992). Les chiffres en matière de PIB, et d’exportation (par exemple) sont éloquents en la matière. Si le marché unique n’avait pas été réalisé, si les réformes liées à l’euro n’avaient pas été entreprises et réussies, la situation serait bien pire, mais c’est difficile à percevoir.

Et malheureusement, la tendance habituelle des hommes politiques français [6] a été d’accuser l’Europe de ce qui n’allait pas bien, et de chercher à faire croire que ce qui allait bien était uniquement de leur fait. Ces hommes politiques ne se sont donc pas précipités pour expliquer tous les avantages de l’Europe, en particulier au niveau économique. Même si certains, dont Jacques Chirac, ont enfin compris l’importance de l’Europe et le caractère vain d’éventuels choix franco-français. Il était donc trop tard (en 2005, pour le référendum) pour communiquer sur les vertus de l’Europe, le mal avait été fait, et il faudra beaucoup de temps pour corriger ce grave état de fait.

Le populisme prospère, à gauche et à droite...

En attendant, comme tout peuple en proie aux peurs face à l’avenir, les Français ont été prompts à se replier sur eux-mêmes et se sont laissés tenter par les sirènes de ceux dont l’histoire a toujours montré l’inefficacité et les grands dangers de leur politique :
- les nationalistes, qui ont toujours entraîné la ruine de leur propre pays, à court terme (tous les exemples dans l’histoire le prouvent, y compris ceux récents en ex Yougoslavie, en Europe, aux portes de l’Union)
- les souverainistes, les communistes et les socialistes "crypto-communistes" qui en appellent eux aussi à un protectionnisme inefficace voire impossible [7]
- les "révolutionnaires" qui voudraient nous faire croire qu’un autre système est possible, alors qu’aucun exemple dans le monde n’est disponible ou efficace, si ce n’est pour organiser la négation de la dignité humaine et de la liberté, la répression et la mort, pour des millions de personnes.

Evidemment les situations de 1981 et de 2005 sont très différentes : la mondialisation est plus forte et visible, les pays émergents plus puissants. Et pendant ce temps la création de l’euro protège et a déjà protégé plusieurs pays européens des crises monétaires majeures que nous avons bien connues auparavant et des révisions déchirantes qui s’en suivaient. [8]

... les enseignements de la sortie de route de 1983 sont oubliés...

Il n’empêche, tout se passe comme si les enseignements de la période 1981 - 1983 avait été oubliés : comme si l’on pouvait faire abstraction de l’interdépendance (encore plus forte) des économies du monde, comme si les théoriciens Français pouvaient inventer une nouvelle façon de gérer l’économie, au bénéfice de tous, sauf bien sûr de ceux qui détiennent des capitaux ; comme s’il suffisait de donner du pouvoir d’achat aux Français, comme s’il suffisait de décréter que nous travaillons trop [9], comme s’il était possible de garder des "avantages" sociaux sans les mettre en perspective avec les nouvelles contraintes, très différentes de celles des trente glorieuses (1945-1975). [10]

Une différence apparente par rapport à 1981, c’est que les Français qui ont voté NON l’ont fait par "principe de précaution" [11]. Il ne s’agit pas d’élire un Président ni d’appliquer un nouveau programme de gouvernement, événements a priori plus porteurs d’incertitudes.

Mais ce Traité résulte d’un accord entre 25 pays, pour améliorer le fonctionnement de l’Europe et renforcer son unité politique. Le vote Non est en quelque sorte une volonté de botter en touche, sans prendre en compte le risque de casser une dynamique essentielle pour continuer la construction difficile de l’Union Européenne.

... mais cette fois-ci la crise sera larvée, résultant d’une grande incertitude...

Et ce qui rapproche 1981 et 2005, c’est la grande incertitude qui suit le résultat du vote. Personne, pas même bien sûr les tenants du Non, ne sait ce qu’il va se passer après un NON depuis un pays non seulement fondateur (comme les Pays Bas), mais aussi moteur de l’Europe avec l’Allemagne depuis le début de l’aventure. Aventure pleine de défis mais aussi de succès, Airbus en étant un des meilleurs exemples.

S’il en était besoin, cet exemple d’Airbus parmi tant d’autres montre que l’Europe peut gagner y compris quand le n°1 mondial est américain et règne en maître depuis des dizaines d’années. Et qu’elle ne gagne pas en se réfugiant derrière ses frontières. Il était pathétique d’entendre un tenant du Non, homme politique de premier plan, souhaiter que nous protégions nos avions européens... alors qu’il est bien clair que si nous vendions nos avions seulement aux pays européenns, ce serait le meilleur moyen de mettre la cé sous la porte ! Cet exemple d’Airbus n’est bien sûr pas le seul, et même des sociétés françaises peuvent réussir, si elles affrontent la compétition internationale (Renault, Peugeot, avec des stratégies différentes, mais aussi Usinor-Sacilor-Arcelor et Air France sont quelques exemples récents de redressements spectaculaires). [12]

La grande différence par rapport à 1981, c’est que les effets négatifs de ce vote ne se verront pas tout de suite, qu’ils s’étaleront une plus longue période, et qu’il sera alors bien difficile à la plupart de comprendre qu’ils résultent de ce vote de défiance.

... ce qui compliquera la compréhension des phénomènes en jeu, et retardera la perte des illusions

La question clé devient donc la suivante : combien de temps faudra-t-il attendre, quelle crise faudra-t-il au "peuple de gauche" et à ses inspirateurs pour comprendre que l’Etatisme et les monopoles ne sont pas des solutions ? que des prélèvements obligatoires élevés, ainsi que les déficits publics ne sont pas viables à terme ? que "trop de protection tue la protection" ?

Quelle crise faudra-t-il donc attendre pour que les Français comprennent ?

Et plus généralement quelle crise faudra-t-il aux jacobins (de droite et de gauche) pour comprendre que l’Etat peut jouer un rôle à condition qu’il ne se mêle pas de tout ? que le protectionnisme n’est pas une solution, surtout dans une économie aussi mondialisée ? Pour se rendre compte de l’extraordinaire prégnance en France de ce jacobinisme, il suffit de se reporter aux commentaires dans les médias au sujet de la "pagaille" du lundi de Pentecôte : à qui fera t on croire que c’est un drame que tous les Français ne travaillent pas ce jour-là. Ce jacobinisme est vraiment pathétique !

Cette crise se produira-t-elle en France vers 2010, une quarantaine d’années après 1968 ? Après l’élection présidentielle de 2007, pour laquelle un présidentiable, prêt à tout, a joué l’apprenti sorcier en prenant le risque de faire gagner un Non populiste ? Pour espérer un deuxième tour symétrique de celui de 2002 ?

Pourquoi une crise majeure ? Si nous en sommes là, c’est que le deuil n’a pas été fait en France de la volonté de cette omniprésence de l’Etat. Et si l’euro nous protège de certaines crises monétaires, il nous empêchera aussi (paradoxalement) de nous rendre compte de l’impossibilité d’une "autre politique" (socialiste - étatique).

Et cette crise est d’ordre culturel, comme en mai 68 : il s’agissait alors d’un fossé grandissant entre des institutions figées et une société réelle, dont la vitalité était bridée par un conservatisme d’un autre âge.

Si rien n’est fait rapidement pour combler le fossé entre le monde politique et la société civile, entre les efforts des actifs et leurs salaires, entre les différentes "classes" de la société, pour sortir de l’immobilisme ambiant et des corporatismes de toutes sortes, nous nous dirigeons clairement vers une crise majeure dans quelques années, et très probablement vers 2010. N’importe quoi servira de détonateur.

En attendant : une grande instabilité économique et politique, qui gênera les réformes nécessaires

A défaut d’une crise claire comme en 1983 [13], nous vivrons donc une crise larvée, sous forme d’une longue période de grande instabilité économique, avec une croissance encore inférieure à celle récemment revue à la baisse par les organismes de conjoncture économique. Un peu comme en Allemagne actuellement, avec les dégats que cela crée en matière de gouvernabilité du pays : les réformes nécessaires sont d’autant plus difficiles à faire passer, puisque les marges de manoeuvre sont encore plus faibles. Et comme ces réformes nécessitent un minimum de durée pour qu’on en voie les résultats, il est probable qu’on enchaîne gouvernement sur gouvernement sans solution sérieuse à terme. Et que l’on débouche à terme sur un gouvernement populiste, encore plus incapable de résoudre les problèmes immenses du pays.

Paradoxalement la seule chose qui pourrait nous sauver serait probablement une baisse importante de l’euro par rapport au dollar, mais ce serait aussi un signe que la construction européenne est bien mal partie... Que faut-il souhaiter, Charybde ou Scylla ?

sauf si, qui sait, des décisions courageuses étaient prises rapidement ?

En attendant, faut-il espérer que le Président de la République se décide enfin à appeler un chat un chat, et à faire face au problème lancinant des déficits, de la dette, et des prélèvements créant assurément le chômage ? à prendre le taureau par les cornes en cette situation "pré-révolutionnaire"

- en décidant de vraiment diminuer les dépenses publiques, pour à la fois commencer à redresser le pays et donner un signal fort aux actifs, aux chômeurs et aux entrepreneurs ? Ce qui permettrait de répondre à l’esprit du vote Non (une économie plus forte, développant enfin l’emploi), sans répondre à sa lettre (plus de protection, ce qui assurerait le contraire de ce qui est voulu : moins de croissance, plus de chômage encore)

- en accélérant la Réforme de l’Etat, en s’inspirant de ce que le Canada a fait dans les années 1994, avec une réalisation éclair en 6 mois et des résultats extraordinaires très rapidement. [14]

Ce qui enverra un signal très fort en direction des forces vives du pays, y compris de ceux qui cherchent activement un emploi et se découragent actuellement.

- en s’attachant, aussi souvent que possible, à montrer que des réformes à caractère libéral ne sont pas incompatibles avec la prise en compte des réalités sociales.

En saisissant toutes les occasions de faire de la pédagaogie, et de l’information sérieuse sur les expériences étrangères, sur les succès ici et là, y compris en France : comment se fait-il par exemple que certains départements ou régions, dans des conditions proches, obtiennent des résultats ettement meilleurs en matière d’emploi ?

- en parlant vrai aux Français, en annonçant fermement la volonté de réduire les dépenses publiques (voir ci-dessus, pour une réforme de l’Etat énergique et rapide façon Canada) et en même temps en accélérant et amplifiant les mesures permettant de développer les services à la personne (par exemple) : certaines mesures peuvent être temporaires, pour faciliter ces mutations difficiles car elles touchent à nos mentalités, nos habitudes, nos comportements.

En faisant un "deal" avec les Français : la réduction des postes de fonctionnaires dans les domaines non prioritaires (en ne renouvelant qu’une partie des emplois actuels) peut aller avec l’augmentation des postes dans les domaines prioritaires (recherche par exemple) et surtout permettra de créer beaucoup plus d’emplois ailleurs.

En identifiant et menant quelques actions clés pour développer l’emploi et en particulier celui des jeunes et des séniors, en commençant par les actions qui ne coûtent rien mais ont beaucoup d’effet (réglementation du travail par exemple).

A défaut de ces décisions courageuses, nous repartirons dans une alternance de gouvernements qui ne s’attaqueront pas aux problèmes structurels de la France, ce qui risque de déboucher sur la fameuse crise de 2010-2012..., dont le pire peut sortir, temporairement au moins : extrême droite ?

Car les élections se suivent mais ne se ressemblent pas : les désillusions des 35 heures ont éloigné certains électeurs, et le changement positif devant être apporté par Chirac en 2002 tarde à se concrétiser...

Notes

[1] durée des régimes communistes en Russie : 1917-1989, 72 ans, soit 3 fois 24 ans, et en Europe de l’Est : 1945-1989, 44 ans, soit 2 fois 22 ans

[2] la fragilité des comptes, la grande vulnérabilité si les frais fixes sont importants, et donc la nécessaire flexibilité pour assurer sa survie, l’important décalage dans le temps entre le paiement du personnel, la vente de produits et services et l’encaissement des recettes, l’obligation de gérer à court terme ET à moyen et long terme, etc.

[3] la grande dépendance des recettes de l’Etat par rapport aux bénéfices des entreprises ; l’impérieuse nécessité de trouver des accords gagnant/gagnant à tous les niveaux, entre salariés, actionnaires et clients, entre entreprises et Etat ; la nécessité aussi pour les états et le administrations de faire à la fois mieux, plus vite et avec moins de moyens, etc.

[4] ce qui relativise ces plans sociaux, même si évidemment il faut en parler et surtout accompagner ET anticiper ces évolutions, ce qui est loin d’être fait en France alors que les mutations sont évidentes pour tous depuis au moins 30 ans

[5] il n’est que de constater que les pays voisins dépensent beaucoup moins que nous dans un "système de santé" tout en ayant des résultats souvent nettement meilleurs que nous, et sans avoir par exemple les effets désastreux de notre surconsommation de médicaments (antibiotiques, antidépresseurs, etc.), ce en quoi nous sommes également champions du monde. Un autre paradoxe, c’est que contrairement à ce qui est toujours affirmé par ceux "qui ne veulent pas de la casse de la Sécurité sociale", le système actuel n’empêche pas l’exclusion

[6] par manque de courage et devant le vertige donné par leur perte réelle de pouvoir, beaucoup de décisions se prenant effectivement au niveau de l’Europe

[7] Robert Hue a même souhaité qu’Airbus soit protégé de la concurrence internationale, alors que vendre seulement en Europe serait le plus sûr moyen de mettre la clé sous la porte !

[8] Josep Borell, président du Parlement européen, insistait récemment à juste titre sur le rôle protecteur de l’euro qui avait permis à la France d’affirmer sa différence par rapport aux Etats Unis sur la guerre en Irak, et à l’Espagne de rappeler ses troupes, sans une crise monétaire d’ampleur majeure.

[9] nous avons le plus faible taux d’emploi d’Europe des jeunes, des seniors, et un taux de chômage général très élevé ; un nombre de jours travaillé faible, un passage à la retraite plus précoce, etc.

[10] D’ailleurs, même si nous n’étions pas dans l’Europe ou dans un monde très globalisé, il n’est pas besoin d’avoir fait de longues études pour comprendre que l’allongement de la vie et le faible taux (travailleur actif/retraité) imposent de revoir l’âge de la retraite, au moins pour les volontaires. Il est compréhensible par tous qu’une retraite à 50 ans, accordée aux conducteurs de la SNCF quand ils effectuaient un travail très dur (alimenter en charbon les locomotives à vapeur) n’est pas viable à l’heure des TGV.

[11] Stéphane Rozès, directeur de CSA Opinion (La Tribune, 27 mai), maître de conférences à Sciences Po

[12] Signalons simplement que les réussites citées sont toutes de grandes entreprises, qui bénéficient d’un effet de taille et souvent d’aides ou d’exonération de charges. Les PME (sous-traitants par exemple), les TPE et entreprises innovantes subissent beaucoup plus les très fortes contraintes liées à un niveau très élevé de charges sociales et d’impôts. Et comme par hasard le tissu de PME est beaucoup moins dense en France que dans tous les autres pays développés, y compris chez nos voisins européens

[13] à ce moment Laurent Fabius recommandait de sortir du serpent monétaire européen (SME) et donc de se replier sur la France

[14] "... En 1993, les déficits publics atteignirent 8,7% du PIB, dont 6% pour le gouvernement fédéral, et la dette du seul gouvernement fédéral était de 66% du PIB. Le service de ces emprunts représentait 37% des recettes fiscales ! Cette constatation avait convaincu les Canadiens que la réduction des déficits était une nécessité pour faire baisser le chômage. ...

Jean Chrétien lança immédiatement un programme de réduction des dépenses : le nombre de ministères passa de 32 à 23, les salaires des fonctionnaires furent gelés (ils le resteront pendant plus de 3 ans, jusqu’en février 1997), et une réexamen complet de toutes les dépenses publiques fût entreprise.

Baptisée "examen des programmes", elle fût réalisée en 6 mois. L’objectif principal : ramener en 2 ans le déficit fédéral de 6% à 3% du PIB. Et pour cela, baisser en moyenne de 20% les dépenses, sans augmenter les impôts sur les particuliers, et en augmentant très peu les impôts sur les entreprises.

Les subventions aux entreprises furent diminuées de 60%, les budgets des ministères de l’industrie et des transports baissèrent de 50%. Tous les autres budgets, à une seule exception près, furent diminués".

Extraits de l’article de Alain Mathieu, dans "Société Civile" N° 30, novembre 2003

3 Messages de forum

  • Le vote Sarkozy à l’élection présidentielle de 2007 a été franc (53%), et encore plus massif (84% de participation, avec 95,8% de votes non blancs ou nuls, soit 80,5% de votes exprimés) que le vote NON de 2005.

    En quelque sorte ce vote Sarkozy est à la fois :
    - une rupture par rapport aux votes précédents (y compris bien sûr 2002), qui se traduisaient par une lente érosion de la participation et de la cote des hommes politiques
    - et une sorte de redite du référendum 2005, avec une inversion des résultats, par un OUI encore plus massif : un brusque retour de l’espoir dans la politique, et dans l’importance du rôle du Président de la République.

    C’est aussi une réponse, favorable, aux promesses d’un candidat qui s’est présenté comme homme providentiel... avec tous les risques cela représente : l’expérience montre invariablement que celui qui veut être un "sauveur" dans une situation où beaucoup de gens se sentent victimes d’une situation défavorable, ce qui est bien le cas en 2005-2007, se transforme en ’victime’ et / ou ’bourreau’.

    Les exemples dans l’histoire abonde. Prenons un exemple récent, et particulièrement évident : Bush a voulu sauver l’Irak d’un (authentique) dictateur, et s’imaginait donc que les soldats américains allaient être aussitôt et durablement acclamés... alors que ces soldats se sont retrouvés très vite victimes (de nombreux attentats) ou bourreaux (voir par exemple la prison d’Abou Grahib)... Et sur la scène internationale Bush a été vu comme bourreau, ou comme victime, selon le point de vue de l’observateur !

    Et ce qui devait arriver... arriva avec Nicolas Sarkozy : très vite sa cote de popularité s’est inversée, après une très forte adhésion, qui aura quand même duré environ 6 mois.

    On assiste donc bien à une sorte de répétition de 1981... sauf que la chute a été encore plus rapide qu’après la première élection de François Mitterrand (rappel des chiffres de l’élection : 51,8% des voix, 85,9% de participation, soit 83,4% de votes exprimés ; soit encore 43,2% des inscrits, ce qui est très très proche du résultat de N. Sarkozy : 42,7% des inscrits...).

    Dans les deux cas il y a eu une très forte attente par rapport à la politique, qui était supposée pouvoir régler beaucoup de problèmes, y compris économiques. Avec dans les deux cas la même méconnaissance des phénomènes économiques, et la même arrogance, le même volontarisme.

    Ce que nous disions en 2005 après le NON, par comparaison avec la période 1981-1983, peut malheureusement être redit après l’élection de Nicolas Sarkozy. Une des seules différences étant que le chômage continue, heureusement, de baisser, mais cela est en grande partie lié au départ assez massif à la retraite (papy boom).

    Les autres problèmes sont malheureusement assez proches de ceux constatés en 1981 : creusement des déficits (budgétaire, des comptes sociaux (sécu en tête), déficits publics en général), déficit extérieur qui devient abyssal à son tour, avec toujours des taux de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires très élevés.

    La crise d’ampleur évoquée, comme susceptible d’arriver vers 2010, reste donc complètement d’actualité, d’autant que les conditions extérieures ne sont pas favorables : crise des subprimes, devenant une crise financière et une crise économique importante aux Etats Unis, hausse du prix du pétrole et des matières premières, chute vertigineuse du dollar).

    Une différence, et elle est importante, vient du fait que la hausse du prix du pétrole et des matières premières est très directement liée à la croissance qui reste encore forte en Asie, ce qui modère les effets négatifs de la crise américaine.

    Une autre différence, et elle est également très importante, réside dans la volonté supposée forte de Nicolas Sarkozy de faire des réformes qui aient (enfin !) des réels effets sur l’économie.

    Espérons simplement que les réformes à venir seront (enfin !) des réformes structurelles, qui s’attaquent enfin aux vrais problèmes de la France. Et non des réformettes, dont l’effet sur les comptes du pays sont très peu visibles, et même réels (le meilleur exemple étant la non réforme des régimes spéciaux, dont on ne sait toujours pas si les mesures vont se traduire par une amélioration des comptes liés à la retraite).

    Ce qui suppose de dire, enfin, la vérité aux Français, et de ne pas craindre d’utiliser des termes comme "rigueur" par exemple...

    A condition aussi bien sûr que l’opposition arrête sa démagogie, continuant par exemple de clamer que le nombre d’années de cotisation (retraites) ne doit pas être augmenté. Il était à ce sujet intéressant d’entendre un Manuel Valls s’exprimer ce 29 avril 2008 dans cette direction, même si bien sûr sa vision n’est pas tout à fait la nôtre. Simplement sa voix reste très minoritaire dans la gauche en France.


    Reprenons nos intertitres de 2005, en les adaptant, n’est-ce pas extrêmement actuel... :
    - Le vote Sarkozy : une réédition de mai 1981...
    - .. par méconnaissance des phénomènes micro et macro-économiques...
    - ... en accusant l’Europe, et non les vraies responsables : les "politiques" économiques françaises depuis 30 ans... (la différence c’est que Sarkozy constate que les déficits depuis 1974 sont une des causes majeures de notre situation bien peu enviable)
    - Ceux qui subissent le plus la situation votent pour sa continuation (pour l’extrême volontarisme de Sarkozy, très souvent déplacé)
    - Les "solutions" de Sarkozy (l’interventionisme, y compris par exemple son intervention incompréhensible à Gandrange en février 2008, par rapport à Arcelor Mittal) sont en fait les causes des problèmes
    - L’Europe (et l’euro) nous a beaucoup apporté, mais sert de bouc émissaire (même si le niveau extrêmement élevé de l’euro commence à être extrêmement préoccupant, y compris pour d’autres pays européens, et même en Allemagne)
    - Le populisme prospère, à gauche et à droite... (eh oui, malheureusement..., et cela a momentanément payé pour la gauche, aux Municipales et Cantonales)
    - .. les enseignements de la sortie de route de 1983 sont oubliés... (eh oui, les faibles marges de manoeuvre qui existaient ont-elles été bien employées avec la plupart des mesures TEPA ("paquet fiscal") ? Ne convenait-il pas de les utiliser pour mettre en place et accompagner des réformes autrement plus ambitieuses ?)
    - ... mais cette fois-ci la crise sera larvée, résultant d’une grande incertitude... (en fait, à cause de la crise américaine, les aspects économiques pourraient être assez forts et pas si larvés que cela. Souhaitons que notre Président comprenne qu’il est temps de voir la réalité telle qu’elle est et non telle qu’il voudrait qu’elle soit...)
    - ... ce qui compliquera la compréhension des phénomènes en jeu, et retardera la perte des illusions (peut-être que cette fois-ci les Français pourront enfin ouvrir les yeux, et le Président avec eux ?)
    - Quelle crise faudra-t-il donc attendre pour que les Français comprennent ? (peut-être que cette période de début 2008 sera finalement assez favorable à cette prise de conscience ? au moins pour une partie des Français ?)
    - En attendant : une grande instabilité économique et politique, qui gênera les réformes nécessaires (l’instabilité crainte n’est pas constatée actuellement, souhaitons que des réformes structurelles seront enfin entreprises, ce qui bien sûr n’est pas facile dans cette situation de chute de popularité ; pourquoi donc a t il fallu que Sarkozy se cramponne à ce point à ses convictions ? A t il enfin commencé à comprendre ? le fait qu’il parle explicitement d’erreurs est-il un signe suffisant ?)
    - sauf si, qui sait, des décisions courageuses étaient prises rapidement ? (eh oui, là est la planche de salut, pour Sarkozy, la France et les Français : prendre enfin le taureau par les cornes, et s’attaquer enfin aux déficits de si grande ampleur, et non à seulement 7+5 milliards ! -un millième de ce qu’il faudrait faire, pour reprendre les termes de Elie Cohen, au cours d’une émission de "C dans l’air" du 25 avril 2008 : "Sarko ; acte 2, scène 1")

    Voir en ligne : C dans l’air, 25 avril 2008. Sarko, Acte 2, scène 1

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