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Rapport de Christian Blanc au premier ministre

Nous sommes dans un état d’urgence économique et sociale

Pour un éco-système de la croissance.

dimanche 3 juillet 2005, par Christian Blanc


Voir en ligne : Les pages de conclusion au format PDF

Comme plusieurs autres avant lui, le présent rapport constate les handicaps croissants de notre pays et appelle des réformes structurelles. L’histoire récente montre que les réaliser est incontestablement plus complexe que de les exposer. Avant de le conclure et d’en résumer la teneur, il faut donc se demander si l’on peut réformer la France et comment.

Le pouvons-nous ? Les réformes avancent jusqu’à présent peu et lentement, car elles requièrent de livrer des efforts considérables pour faire prévaloir l’intérêt général sur des intérêts catégoriels ou corporatistes aptes à bloquer le système.

Comment faire ?

Depuis plus de 15 ans, les gouvernements avancent masqués, dans l’espoir que des mesures techniques seront mieux acceptées par l’opinion publique que l’objectif politique et économique qui les inspire. Ils négocient des demi-mesures avec des corporations qui voient se succéder et s’épuiser les ministres et savent neutraliser dans l’application ce qu:elles n’ont pu étouffer dans la législation.

Plus encore que d’autres peuples, qui ont la tradition des réformes progressives, les Français ont besoin d’un horizon bien défini. Ils ne sont prêts ni aux efforts, ni aux enthousiasmes qui ne sont pas éclairés par une forte ambition. C’est à la représentation nationale et au gouvernement de mettre en oeuvre cette ambition que seul le chef de l’État peut définir et impulser.

La volonté de maintien des droits acquis peut apparaître comme un frein à la modernisation du pays. C’est probablement exact, mais normal. Un pays qui ne sait pas où il va est naturellement conservateur. Quand les perspectives d’avenir sont incertaines, la protection des acquis donne à tout le moins un objectif clair et d’autant plus rassurant qu’on se sent plus fragile.

Il convient donc d’inverser l’approche. Dans un pays en stagnation économique, les acquis sociaux sont des chèques sans provision : un droit non financé n’existe plus. Seule la croissance peut nourrir la cohésion sociale. Un exemple l’illustrera. Les mutations décrites dans la première partie de notre propos soulignent les menaces toujours plus grandes qui vont peser sur l’emploi non qualifié, inéluctablement frappé par les délocalisations. Plutôt que d’attendre le choc et d’en adoucir les conséquences le jour venu, nous devons comprendre le mouvement qui remodèle notre économie comme d’autres mutations l’ont fait dans les siècles passés. Subir c’est accepter le drame. Anticiper c’est non seulement former les salariés, développer et adapter les qualifications, mais c’est aussi inscrire dans les esprits la transmutation sectorielle et logique de l’emploi peu qualifié. Autrefois ouvrier et manufacturier, il s’exercera à l’avenir les dans les services de proximité ou autour de la commercialisation des produits. Anticiper c’est se donner du temps pour traiter les personnes avec dignité dans cette adaptation particulièrement difficile.

Tout cela n’est pas simple, mais aucune organisation syndicale ne saurait durablement s’opposer à la recherche de croissance compatible avec la survie de notre protection sociale. Pour couvrir retraites, maladies, dépendance il doit s’approcher de 3% en moyenne sur longue période. Servant cet objectif, le présent rapport rassemble les aspirations aujourd’hui conflictuelles du monde économique et du secteur social. Les mesures suggérées sont donc l’occasion d’établir un nouveau pacte entre ces forces avec le soutien des pouvoirs publics.

Les pôles de compétitivité se construiront en effet aussi dans le tissu social au sens large avec une place particulière pour les partenaires sociaux. Le rapport a souligné la nécessité de renouvellement des associations d’entrepreneurs pour créer des communautés d’intérêt localisées. Mais ce mouvement doit aussi toucher la représentation des salariés. De même que les organisations productives et les organismes de recherche, le syndicalisme français a construit sa culture selon une logique à la fois nationale et sectorielle représentée par les confédérations interprofessionnelles et les branches. La formation de pôles de compétitivité requiert deux évolutions. D’une part, elle appelle la création d’espaces de négociation et de représentation nouveaux dans la perspective territoriale et multi-sectorielle qui caractérise les pôles. D’autre part, l’élévation des qualifications et de la valeur ajoutée des tâches demande des modes de représentation adaptés aux travailleurs intellectuels qui ont besoin d’une expression collective.

Cette mutation de l’espace social accompagnerait la dynamique plus général rapport suggère d’impulser autour des trois acteurs de la croissance que sont l’universitaire, l’entrepreneur et le chercheur. Le rapport suggère de leur consacrer trois chantiers de réforme.

- Premièrement, la dévolution aux conseils régionaux d’un champ de compétences cohérent et clairement identifiable : gestion de la totalité des aides aux PME, financement du premier cycle de renseignement supérieur, soutien à l’innovation et à la recherche, définition des ressources des CCI. L’ensemble de ces compétences situe clairement cette collectivité comme responsable de la création d’une dynamique de pôles de compétitivité. Dans un processus expérimental, trois à quatre régions pourraient être identifiées afin d’initier ce mouvement. En regard de ces compétences, l’État doit rassembler les siennes, regroupant enseignement supérieur, recherche et industrie en un grand ministère de l’innovation.

- Deuxièmement, la refondation d’universités puissantes, visibles, pluridisciplinaires et autour d’elles de campus performants. Cela passe par un changement du mode de désignation de leurs présidents et de leurs conseils d’administration et par une liberté budgétaire très élargie et la possibilité de se regrouper pour créer des marques fortes et des campus communs. Cela passe aussi par des hommes et femmes de la recherche mieux payées, mieux évalués et gérés par leur université sans pour autant abandonner la qualification nationale qui garantit la qualité des recrutements. La fusion en un statut unique des enseignants - chercheurs et des chercheurs ouvre des espaces de liberté tant pour l’investissement dans la recherche que pour le redéploiement des équipes. Enfin, un label doit placer la valorisation des travaux des chercheurs dans un cadre solide et clair vis-à-vis des règles de la concurrence et de la fiscalité.

- Troisièmement, et ce domaine est très lié au précédent, le système national de recherche passerait d’organisations massives dédiées à la gestion des personnels à des agences de moyens concentrées sur le financement, la sélection et l’évaluation des projets et des équipes. Elles pourraient s’organiser par disciplines ou se positionner à divers étages de la chaîne amont-aval comme les grands instituts allemands. Le CNRS confierait progressivement ses unités mixtes aux universités au fur et à mesure que celles-ci progressent dans leur management. Un financement accru du système de recherche faciliterait la transition, surtout s’il est dédié au soutien des formes modernes d’organisation.

Au final, les évolutions profondes du cadre public présentées ci-dessus bénéficieraient profondément aux entreprises, premiers acteurs de la croissance. Elles trouveraient un monde de la recherche géographiquement et sociologiquement plus proches d’elles et une vision territoriale plus claire de la part des pouvoirs publics. Des mécanismes nouveaux de financement du capital-développement ou d’assurance des projets innovants complèteraient cet environnement favorable. Au-delà, c’est à elles qu’il reviendra d’agir par un investissement plus fort dans les logiques collectives et la recherche de communautés d’intérêts.

Pour réussir, les réforn1es exposées dans ce rapport ont besoin d’être publiquement assumées dans leur philosophie et dans leurs objectifs.

Chaque année qui s’écoule dans le cadre actuel nous éloigne un peu plus des pays concurrents qui ont su s’adapter aux nouveaux modes de fonctionnement de l’économie. Chaque année de faible croissance est une occasion perdue pour toujours. Les réformes ne réussiront pas mieux pour avoir beaucoup attendu, mais risquent d’arriver trop tard. Interrogé sur ce qui fait la victoire ou la défaite, le général Mac Arthur répondait que les explications des grandes victoires étaient diverses, mais que toutes les défaites n’en avaient qu’une : « Too late ! ».


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