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De la lutte des classes à la lutte des âges.... ou : Pour un nouveau pacte intergénérationnel

jeudi 5 octobre 2006, par Valérie Ohannessian


Notre société vit un choc démographique sans précédent dont elle n’a pas fini de comprendre les enjeux. La chaîne des solidarités entre les générations se disloque sous le double effet de l’effondrement de la fécondité et de l’allongement de la durée de la vie.

Cette rupture démographique fait voler en éclat le pacte social sur lequel notre société se fonde depuis 1945, en bouleversant les systèmes de transferts de ressources entre les générations : les plus anciens qui ont pu profiter de la croissance glorieuse de la seconde partie du XXème siècle puis des pleins effets de la répartition (retraite, santé), se retrouvent face à de jeunes générations qui ne connaissent que le chômage et l’incertitude de l’avenir.

Celles-ci doivent supporter aujourd’hui le double choix du fameux « modèle social français » : celui du « tout répartition », qui s’avère dramatique quand le déséquilibre des classes d’âges apparaît, faisant peser sur des jeunes de moins en moins nombreux la charge de leurs aînés ; la culture du déficit qui reporte sur les générations futures la charge d’une dette non maîtrisée.

Il y a ainsi aujourd’hui des demandes violemment concurrentes dans le partage du revenu national. D’autant que celui-ci, ne serait-ce que du fait de la diminution du nombre des actifs, n’est pas appelé à croître suffisamment pour faire disparaître le problème.

La répartition de la richesse nationale entre les classes d’âge co-existantes est donc une source de tension majeure. La récente crise des banlieues en a été une illustration, laissant penser que le combat de demain n’est pas la lutte des classes mais la « lutte des classes d’âge ».

Et si la question politique de ce début de siècle n’était pas la fracture sociale mais la recherche d’un nouveau contrat entre les générations ?

Des transferts publics favorables aux classes âgées

Stagnation de la fécondité, hausse des taux de survie, phénomènes migratoires a priori réduits... la modification de la structure par âges de la population est inédite et bouleverse l’ensemble des mécanismes de redistribution des ressources selon l’âge (cf. Masson, Kessler, Pestiau 1991).

Le poids relatif des générations cœxistantes se modifie au profit des générations âgées, comme l’illustrent les déformations de la pyramide des âges. On évalue à 250 000 par an la croissance nette des personnes de plus de 60 ans.

Or, cette rupture démographique bouleverse les équilibres des transferts entre les générations, qu’ils soient ascendants (des enfants vers leurs parents ou grands parents) ou descendants (des seconds vers les premiers), publics (éducation, santé...) ou privés (héritages, donations), individuels ou collectifs.

Aujourd’hui, les principaux transferts publics entre les générations sont ascendants. Le premier en volume est celui des retraites, qui fait remonter immédiatement des ressources prélevées sur les actifs vers les inactifs. De 6% du PIB dans les années 1960, la masse des retraites est passée aujourd’hui à 15 %. Et leur poids continue de s’accroître.

Il en est de même (dans de moindres proportions) pour les dépenses de santé du fait du vieillissement de la population. Le poids des déficits qui reportent la dette actuelle sur les futurs contribuables joue aussi au détriment des plus jeunes.

A côte de ces transferts ascendants, les transferts descendants en faveur des jeunes générations (éducation, formation) apparaissent bien faibles (4 ou 5 pour_cent de PIB ?), même si on y ajoute les allocations familiales, qui du reste sont plutôt des transferts intragénérationnels...

Les transferts privés sont quant à eux plutôt descendants. Toutes les récentes mesures destinées à faciliter la transmission entre les générations (donations) agissent pour corriger le poids des transferts publics ascendants. Mais les volumes en jeu ne seraient pas comparables.

En résumé et globalement, le solde des transferts publics et sociaux bénéficie actuellement largement aux génération âgées. Les transferts privés ne compensent pas ces flux, d’autant qu’ils risquent de se tarir quand la génération qui s’est le plus enrichie viendra à disparaître.

Les « jeunes » sont une catégorie politique

Or, ces choix implicites qui fondent notre fameux « modèle social français », semble aujourd’hui malmenés.

La crise des banlieues et du CPE apparaît comme l’expression d’une remise en cause profonde de notre modèle social et des solidarités intergénérationnelles qui le sous-tendent.

Sous cet angle, le « conflit des générations » n’est plus seulement un choc des cultures, une querelle classique entre Anciens et Modernes. C’est une lutte pour la survie. Consciemment ou non, « les jeunes » savent qu’ils vont devoir payer, et pour longtemps.

Et si en plus ils ont compris qu’il n’y avait peut-être pas de fatalité à cela si leurs aînés s’étaient montrés responsables et soucieux de leurs enfants...Aie ! Que le concept de responsabilité et d’équité face aux générations futures ne s’applique pas à la gestion de l’Etat, à l’heure du « développement durable », ils ne le supportent pas. Et ils ont raison.

En attendant, les « jeunes » sont condamnés à voir leur revenu amputé de prélèvements publics et sociaux croissants, sans espérer bénéficier des contreparties ultérieures, puisqu’on ne leur assure même pas la pérennité des systèmes de retraite et de santé. Sentiment d’injustice. Absence d’espoir. Violence.

Les « conflits sociaux » modernes seraient donc appelés à se développer, moins entre les ouvriers et les bourgeois, qu’entre les jeunes et les vieux. En ce sens, la catégorie « jeunes » existe bel et bien. Elle n’est pas sociologique mais générationnelle... et politique.

Quel point commun y a t-il entre un jeune immigré de banlieue et un diplômé du 7ème arrondissement ? Ils devront payer pour les erreurs du passé, parce qu’ils appartiennent à ces générations sacrifiées par l’égoïsme des anciens. Ils sont de ce point de vue, à « égalité politique », même si leurs ressources (financières, d’éducation...) ne leur donnent pas bien sûr les mêmes armes pour faire face au problème.

Dans ce contexte, l’Etat devient un arbitre entre les générations. Et son impéritie budgétaire ne lui permet pas beaucoup de marges de manœuvre. Il peut difficilement acheter la paix générationnelle. Il doit donc tailler dans le vif et prendre le problème à la racine. Ce n’est pas facile car une population plus âgée, c’est aussi l’électorat qui vieillit.

Le temps qui passe rend donc la réforme de plus en plus difficile à assumer électoralement, même si l’espoir démocratique nous conduit à penser que l’on ne vote pas -seulement- en fonction de ses propres intérêts de court terme. En attendant, cela suppose un nouveau discours politique, courageux, pédagogique, autour de l’intérêt général et, rêvons, une moindre recherche de la maximisation du gain politique à court terme.

Réforme et modernité

Le poids des transferts entre les générations et l’essoufflement de notre modèle social imposent un débat. Pas sur le moyen de le maintenir en survie. Sur les nouvelles règles collectives sur lesquelles nous sommes prêts à reconstruire. Cela suppose du courage.

Car si l’on admet que le problème de la protection sociale se pose autrement que dans la recherche de son financement, on touche au plus profond, à l’essentiel, et au tabou : le contrat social.

Du coup, la question n’est plus technique mais bel et bien politique. Elle ne concerne plus seulement une commission d’experts mais chaque citoyen. Qu’est-ce que les droits sociaux ? L’accumulation de droits individuels intangibles ? Ou bien le fruit d’un pacte collectif, d’un contrat a priori re- négociable ?

Est-il pensable de réduire certains droits, d’en inventer d’autres ? Peut-on envisager de redistribuer des droits sociaux entre les citoyens comme on réalloue des créances ? Peut-on revoir notre hiérarchie collective des risques ? Peut-on repenser la chaîne des solidarités et des responsabilités qui prévaut depuis 50 ans ? Etc....

Ces questions sont celles de la vraie rupture. Celles d’une authentique volonté de réforme et d’une quête de modernité.

Volonté de réforme, car on prend le problème à son fondement politique, à partir de la finalité recherchée (contrat social) et non du moyen à employer (fiscalité).

Quête de modernité, car il s’agit de se projeter et de penser le moyen terme. Le passé est le temps des conservatismes, le présent est celui de l’action et de la réforme.


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