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LE FIGARO, série "Quelle Europe voulons-nous ?" mercredi 18 mai 2005.

Robert Badinter : « Gare à la fascination de la crise européenne ! »

vendredi 20 mai 2005


Voir en ligne : Site "Oui à la Constitution Européenne"

LE FIGARO. - Selon les derniers sondages, une majorité de Français s’apprêteraient à rejeter la Constitution. Etes-vous inquiet ?

Robert BADINTER. - Oui. Mais une chose est la réponse à un sondage, exprimant une opinion qui peut changer ; autre chose est un vote, qui est un acte politique engageant la responsabilité du citoyen.

Plus que jamais, en ces circonstances, je crois aux vertus de la pédagogie et au refus de toute démagogie.

La question que chacun doit se poser en priorité est : le traité constitutionnel qui nous est proposé est-il meilleur que le traité de Nice ?

A question simple, réponse d’évidence : dès lors qu’au terme de cet examen, il en va ainsi, il faut voter oui. Toute autre réponse serait déraisonnable et préjudiciable à l’Europe et à la France.

Pourquoi, alors, ces difficultés des partisans de la Constitution ?

D’abord, à cause de l’usage abusif du terme de Constitution.

Déjà, lors de la Convention, je redoutais que le mot de Constitution, appliqué à un traité entre Etats, nous coûte cher. Aux oreilles françaises, nourries d’une culture constitutionnelle, le mot de Constitution évoque un texte solennel, expression de la souveraineté du peuple, qui définit l’organisation des pouvoirs de l’Etat.

Or le texte qu’on baptise Constitution est un traité entre Etats. Il ne crée pas un Etat fédéral européen à l’image des Etats-Unis d’Amérique. Il ne s’agit que d’un nouveau traité conclu entre les Etats membres de l’Union pour mieux faire fonctionner ses institutions et réaliser ses objectifs.

Si les électeurs français s’imaginent qu’en cas de rejet du traité, un projet alternatif leur serait nécessairement proposé, ils commettent une erreur.

Pourquoi ?

Parce qu’il n’y aurait pas de vide institutionnel qu’il faudrait combler. Les pendules resteraient fixées à l’heure de Nice !

Or l’ensemble des intervenants de la campagne, y compris les partisans du non, s’accordent sur le fait que le traité de Nice est très médiocre.

Attachons-nous donc d’abord à analyser le traité constitutionnel en termes comparatifs avec le traité de Nice et non pas en termes absolus : c’est à cette aune qu’il apparaîtra comme un progrès désirable.

Vous affirmez vous-même que la Constitution n’est pas un « chef-d’oeuvre »...

Assurément, elle ne l’est pas ! Le traité ne correspond pas totalement au texte idéal dont chacun peut rêver... Mais la 1ère partie - celle qui est consacrée aux institutions de l’Union - améliore indiscutablement son fonctionnement.

Elle institue un président du Conseil européen, instance suprême de l’Union, qui aura vocation à incarner l’Union aux yeux du monde - ce qui est un progrès sensible.

Un ministre des Affaires étrangères de l’Union aura dorénavant en charge la diplomatie et la représentation internationale de l’Union. Il amènera plus aisément chacun des gouvernements nationaux à faire converger leurs approches en matière internationale. Compte tenu du poids économique et démographique de l’Union européenne - 450 millions d’habitants -, la voix de la diplomatie européenne sera mieux entendue.

Le progrès le plus sensible de la démocratie s’inscrit au niveau du Parlement européen. Ses pouvoirs sont renforcés, notamment la législation européenne devra être communément soumise à la codécision, c’est-à-dire adoptée par le Parlement et par le Conseil des ministres qui représentent les intérêts des Etats membres de l’Union. C’est un renforcement de la démocratie dans l’Union.

Quant au Conseil, son efficacité sera accrue parce qu’il statuera à la majorité qualifiée dans 25 nouveaux domaines. On pourrait évoquer les pouvoirs donnés aux Parlements nationaux pour sauvegarder le principe de subsidiarité, c’est-à-dire le respect par l’Union des compétences de chaque Etat.

Disons-le sans ambages : l’organisation politique proposée par le traité constitutionnel réalise des avancées notables par rapport à Nice.

En outre, le traité apporte des améliorations importantes à l’Etat de droit dans l’Union. Aujourd’hui, l’Union connaît un régime d’une grande complexité juridique.

Le traité va clarifier la situation en distinguant - à la française - les lois, les règlements administratifs, les décisions et les avis.

Un autre progrès juridique important, c’est la reconnaissance de la personnalité morale internationale de l’Union, qui lui permettra d’adhérer à la Convention internationale des droits de l’homme.

Enfin et surtout, la charte des droits fondamentaux, intégrée dans la partie II du traité constitutionnel, aura valeur juridique, ce qui représente un progrès important.

Avec quelles conséquences ?

Elles seront effectives pour les citoyens européens, personnellement.

Ainsi, si une loi européenne méconnaissait un droit fondamental reconnu aux citoyens par la charte, par exemple dans le domaine social, un citoyen de l’Union pourrait obtenir que cette loi soit annulée par la Cour de justice.

Je pense que, si la confédération des syndicats des travailleurs européens s’est prononcée en faveur de la ratification du traité, c’est qu’elle a notamment mesuré qu’on allait, grâce à la charte, assister au développement d’un droit social européen, par la voie juridictionnelle.

Nul ne saurait dès lors prétendre que donner force juridique à la charte ne constitue pas un net progrès !

Si. Ceux qui y voient le risque d’une atteinte à l’avortement...

Lorsque j’ai entendu certains partisans du non déclarer que la charte risquerait de remettre en question la législation sur l’avortement, j’ai été abasourdi !

Le principe énoncé par la charte - « Toute personne a droit à la vie » - n’est que l’affirmation d’une valeur essentielle de l’Union européenne, au regard de la tragique histoire de l’Europe, et notamment du XXe siècle, où les crimes contre l’humanité ont ravagé notre continent.

En outre, cette proclamation fonde le principe de l’abolition de la peine de mort, contenu dans la charte. Quant à la législation sur l’avortement, elle relève de la compétence de chaque Etat membre.

Pour résumer, par-delà ces controverses, je dirais que donner à chaque citoyen de l’Union la garantie que ses droits fondamentaux - y compris de nombreux droits sociaux - devront être respectés par les organes de l’Union constitue une avancée essentielle du traité. Elle justifie à elle seule qu’on vote oui au référendum.

Ce n’est pas, en revanche, le cas de la 3ème partie !

Cette troisième partie, la plus longue, n’est pour l’essentiel que la reproduction des textes existants de l’Union européenne. Mises à part quelques avancées, comme la clause horizontale, qui énonce que les politiques internes de l’Union doivent prendre en compte l’objectif du plein-emploi et du progrès social, il n’y a là rien de nouveau.

L’essentiel est ailleurs : en cas de victoire du non, la réforme des institutions (Ire partie) et la charte des droits fondamentaux (IIe partie) disparaîtraient. Seuls demeureraient les textes contenus dans la IIIe partie du traité, ceux-là que les partisans du non dénoncent comme gravant le « néolibéralisme » dans le marbre de la Constitution (sic).

Le non annulerait donc les avancées contenues dans le texte constitutionnel...

En effet, ceci reviendrait à écarter tout ce qui constitue un progrès et à conserver ce que les opposants au traité dénoncent. C’est jouer à gribouille. Préférons-nous le statu quo que tout le monde dénonce ? Souhaitons-nous conserver le traité de Nice dont nul n’ignore les lacunes et les défauts ? Gare à la fascination de la crise européenne !

Il y a quand même aussi chez certains l’ambition de renégocier la Constitution...

Parlons-en ! Les partisans du non croient-ils sérieusement qu’un non français entraînerait automatiquement la renégociation du traité dans le sens qu’ils désirent ?

Sur quelles bases cette improbable négociation reprendrait-elle ? Il faudrait au moins savoir ce que les partisans du non souhaitent...

Au-delà du rejet du projet de traité constitutionnel, que proposent les champions du non ? Quel est leur programme ? Jamais les partisans du non ne sortent des généralités pour formuler des propositions précises ou des amendements au traité.

D’ailleurs, qu’y a-t-il de commun entre les conceptions de M. de Villiers et celles de M. Chevènement, entre celles de M. Le Pen et de Mme Buffet ? Ne nous leurrons pas : la négociation, comme toujours, sera une négociation d’État à État. Et si les Français disent non, on restera « scotchés » au traité de Nice et on aura perdu tout ce qui, dans le texte du traité, constitue des progrès institutionnels ou renforce les garanties des citoyens, notamment sur le plan social.

A-t-on eu tort, d’après vous, de soumettre la ratification du traité à la voie référendaire ?

Dès l’instant où l’on n’avait pas consulté les Français sur l’élargissement de l’Union, il fallait demander leur accord sur les institutions nouvelles pour l’Europe des 25. On ne peut pas continuer indéfiniment à construire l’Union européenne sans se soucier de l’adhésion des peuples.

Un non redonnerait-il la main diplomatique à la France ou l’affaiblirait-il dans l’Union ?

Le non causerait à la France une double perte d’influence au sein de l’Union ; d’avant-garde de la construction européenne, la France régresserait à l’arrière-garde ; mais en termes de pouvoir au sein de l’Union, nous serions également perdants.

Selon la règle édictée à Nice, la France, au Conseil, représente environ 9% des voix. Avec le traité constitutionnel, notre pays passe à 13 ; s’agissant du couple franco-allemand, nous atteindrions 31%, et les six pays fondateurs représenteraient 49% des voix (contre 37% selon Nice) au sein du Conseil.

Nice a créé une situation préjudiciable à la France. Le traité constitutionnel redonne à la France, au couple franco-allemand et aux fondateurs toute leur place dans l’Union européenne.

Encore les Français doivent-ils vouloir toujours l’assumer. Et tout en votant oui, déjà préparer, avec leurs plus proches partenaires, de nouvelles avancées de l’Union européenne. Ces progrès-là - le non leur barrerait la voie, car quels alliés trouverions-nous alors au sein de l’Union européenne quand on voit notamment que la totalité des partis socialistes de l’Union ont choisi le oui ?


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