Libéral ET Social ! L’incontournable économie sociale de marché.

Accueil du site > 9. Libéral ET social > Dépasser l’imposture du libéralisme social

Contribution au débat, sur ce site :

Dépasser l’imposture du libéralisme social

Drieu GODEFRIDI, Directeur de l’Institut Hayek

samedi 15 avril 2006, par Drieu GODEFRIDI


Voir en ligne : L’article sur le site de l’Institut Hayek

Le politique doit se plier à des exigences stratégiques et de marketing que l’intellectuel ne saurait méconnaître s’il veut engager avec lui un dialogue fécond. Toutefois, l’autonomie du politique ne peut aller jusqu’au mariage des contraires. L’expression "libéralisme social" apparaît, à cet égard, comme une triple imposture.

- Imposture lexicale. Si le vocable social désigne les effets bénéfiques du libéralisme pour la collectivité, libéralisme social est un pléonasme. Si le vocable social désigne le socialisme, libéralisme social est un oxymore. Si par social, l’on veut signifier l’acceptation d’interventions étatiques massives dans tous les secteurs de la société pour "redistribuer les richesses", ce n’est plus de libéralisme qu’il s’agit, mais de social-démocratie.

L’autonomie du politique ne peut aller jusqu’au mariage des contraires

- Imposture intellectuelle. Le libéralisme social - ou la social-démocratie, puisque c’est d’elle qu’il s’agit - c’est le beurre (les prestations sociales) et l’argent du beurre (réduire les impôts !). Travailler moins, gagner plus. Plaider pour le règne de la loi, et admettre que les syndicats gèrent des sommes considérables en marge de la légalité. Responsabiliser les chômeurs, mais se récrier dès que l’on parle de contrôle et d’exclusion des chômeurs volontaires. Favoriser l’entreprise et cependant conditionner le droit de créer une entreprise à des critères réglementaires de compétence (cette dernière mesure mérite sans conteste la palme de l’aberration libérale-sociale : l’histoire économique fourmille d’exemples d’entrepreneurs qui n’avaient strictement aucune référence universitaire. En Belgique, Bill Gates devrait aujourd’hui suivre des cours de gestion sanctionnés par un examen avant de pouvoir créer Microsoft, on mesure l’inégalable génie du dispositif !)

- Imposture pratique. Le libéralisme social ne marche pas. Cet Etat-Providence dont nous n’arrivons pas à nous dépêtrer suppose la création de richesse, la croissance. Or, depuis quinze ans, de richesses nous n’en créons presque plus. Depuis quinze ans, nos taux de croissance flirtent avec l’unité. Une croissance résiduelle que nous devons d’ailleurs pour l’essentiel à nos exportations, c’est-à-dire à la croissance, réelle celle-là, du reste du monde.

Quitter les illusions du libéralisme social n’est donc pas seulement une question d’hygiène lexicale et d’honnêteté intellectuelle, c’est une nécessité pratique.

Concrètement ? Prenons 3 exemples.

- 1 La durée du travail hebdomadaire. Le libéral cohérent doit expliquer que l’alternative n’est plus, aujourd’hui, travailler moins (la semaine des 35 heures ! 32 heures !) et gagner plus, ou travailler moins et gagner moins.

Avec, notamment, l’élargissement de l’UE, l’alternative est entre travailler plus et gagner moins ou ne plus travailler du tout. La semaine des 40 heures avec diminution de salaire, ou la migration de l’entreprise vers l’Europe de l’Est, l’Asie.

Intolérable ! Inique ! Et pourtant. L’iniquité apparente de l’alternative n’est que la suite directe de la démagogie d’hier. Démagogie socialiste, certainement, mais démagogie "libérale-sociale" tout autant.

Quitter les illusions du libéralisme social n’est pas seulement une question d’honnêteté intellectuelle, c’est une nécessité pratique

- 2 Les réductions d’impôts. Thème libéral s’il en est, ces réductions ne sont crédibles que si elles s’accompagnent d’une réduction des dépenses publiques.

Ce qui signifie, pratiquement, réduire certaines prestations sociales, en supprimer d’autres. Réduire le nombre de fonctionnaires. Se retirer des secteurs où les pouvoirs publics n’ont aucun rôle à jouer : l’économie, la culture.

Ou alors ces réductions ne sont que le prélude à de futures augmentations, au creusement de nouveaux déficits.

- 3 L’égalitarisme. La seule égalité à laquelle un libéral cohérent doit tendre, c’est l’égalité devant la loi. Dès lors qu’il admet le principe socialiste d’une égalisation forcée des conditions matérielles d’existence, il devient malaisé pour le libéral social de s’opposer aux détail des mesures de redistribution "généreusement" prônées par la gauche, à peine de passer pour un réactionnaire, un affameur, voire, péril suprême, un thatchérien.

Le libéral cohérent doit refuser le principe même de l’égalitarisme, parce qu’il sait qu’à vouloir la liberté et l’égalité, on finit par perdre et l’une, et l’autre.

Ce ne sont là que quelques exemples.

Déjà le politique s’étrangle : Vous n’y pensez pas !

Si nous défendons ces idées libérales devant nos électeurs, ils vont se dépêcher de voter socialiste !

Vous disiez vous-même que la politique est aussi une question de marketing, de stratégie. Vendre la réduction des salaires et l’augmentation concomittante du temps de travail est politiquement impensable !

Vraiment ? Il est curieux de constater que les valeurs de la gauche n’ont jamais été aussi prégnantes dans la culture européenne que depuis que la gauche a officiellement renoncé à ce qui fut son idéologie pendant plus d’un siècle (jusqu’aux années septante, on l’oublie !) : l’économie planifiée.

C’est parce qu’elle est orpheline d’une alternative sérieuse à l’économie de marché que la gauche a trouvé refuge dans le magma programmatique de la social-démocratie, qui promet tout et son contraire.

Frustrée de son programme, la gauche ne s’en montre que plus intransigeante sur ses valeurs, comme l’égalité matérielle, les loisirs. Le malheur vient de ce que, tels des chameaux nietzschéens, les libéraux-sociaux acceptent ces valeurs qu’on leur inflige, en postulant leur compatibilité avec les idéaux de liberté.

Il est temps que les libéraux prennent congé des valeurs de la gauche et retrouvent le sens et la fierté de leurs valeurs propres

Or cette compatibilité est un leurre. La liberté ou l’égalité, il faut choisir.

Il est temps que les libéraux prennent congé des valeurs de la gauche et retrouvent le sens et la fierté de leurs valeurs propres, comme la liberté, le progrès, le travail, l’isonomie - combien de prétendus libéraux connaissent de nos jours la signification de ce beau mot grec d’isonomie, pourtant au cœur même de l’idéal libéral ?

Qu’ils reprennent l’initiative sur le terrain des idées en tournant résolument le dos à la social-démocratie. En proposant, par exemple, d’abroger certaines branches de droit purement réglementaires (comme le droit de l’environnement), pour laisser les juges faire leur travail ; en remplaçant le maquis inepte de dispositions fiscales actuel par une flat tax lisible et identique pour tous, en instaurant enfin ce référendum d’initiative propulaire dont on parle depuis 15 ans, en neutralisant définitivement les prédateurs sexuels condamnés. L’on nous taxera d’extrémistes !, s’effraie le politique.

Même le libéralisme social, les socialistes le qualifient d’ultralibéralisme. Les socialistes qualifieront toujours les libéraux d’ultralibéraux, c’est un non-facteur.

Du point de vue de la substance, par contre, il importe de laisser aux socialistes le monopole des caricatures en se gardant, effectivement, de certaines tendances libérales extrêmes (comme, par exemple, celle des "libertariens", ces libéraux anarchistes qui proposent benoîtement de supprimer l’Etat).

Politiquement, la difficulté qu’il y a à faire comprendre et accepter les réalités économiques est plus que compensée par les promesses d’un programme libéral cohérent : liberté, responsabilité, respect de soi, baisses d’impôt, croissance, progrès matériel, augmentation de la durée et de la qualité de vie, élargissement de l’horizon des possibles individuels et collectifs et même - pourquoi s’en priver ? - fierté nationale : la Belgique peut être un modèle sur le chemin de la rédemption économique et intellectuelle de l’Europe.

Le libéralisme est tout entier tourné vers l’avenir : il est un projet de civilisation. Un projet dont l’actualisation politique demande du courage, sans doute, et du talent : des qualités d’homme d’Etat.

Cet article a été publié par les quotidiens "L’Echo" du 8 septembre 2004 et "Le Soir" du 10 septembre 2004


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette