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Association "Médias et Démocratie"

Chômage des jeunes et CPE : dire enfin toute la vérité !

Larges extraits de l’article de Daniel Martin, 14 avril 2006.

dimanche 16 avril 2006, par Daniel MARTIN


Voir en ligne : Article complet sur le site de l’association "Médias et Démocratie"

Ce texte rétablit une vérité trop souvent bafouée sur les chiffres du chômage des jeunes, des problèmes de l’enseignement secondaire et supérieur, le calamiteux contrat CPE, et les nombreuses maladresses du Premier ministre et du Chef de l’Etat.

La vérité sur le taux de chômage

J’entends partout parler d’un taux de chômage des jeunes Français de 24 % environ. L’INSEE donnait pour les 15-24 ans un taux de 22.4 % pour 2004 dans "France, portrait social" 2005-2006", page 91.

La vérité est, heureusement, moins sinistre. Pour le Bureau International du Travail (BIT, 2004), le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans est en réalité de 7.8 %, 3 fois moins que le chiffre utilisé par les politiciens et les journalistes.

La différence vient d’une habitude française inexplicable, consistant à compter les chômeurs de 15 à 24 ans selon des critères différents des autres classes d’âge ... on ajoute aux chômeurs (de la définition du BIT) les 1 286 000 étudiants de l’enseignement supérieur, d’où un total de 1 887 000 chômeurs, qui représentent bien 24 % de 7 845 300 personnes.

Que deviennent les jeunes qui sortent de l’enseignement supérieur ?

La méthode française de calcul du taux de chômage implique que les étudiants font des études parce qu’ils ont peur d’entrer sur le marché du travail, et que ce sont donc en réalité des chômeurs. Hélas, cette opinion, assez vexante pour eux, n’est pas entièrement fausse.

En effet, une grande partie des 280 405 bacheliers qui entrent en 1ère année à l’université s’inscrivent pour des études qui ne préparent pas à un emploi.

Exemples, relatifs à environ 120 000 étudiants de 1ère année dans des filières (STAPS, langues, histoire, géographie, philosophie et sociologie) n’offrant que 3225 postes d’enseignement par an...

Non seulement certaines filières universitaires sont de véritables fabriques de chômeurs, mais beaucoup d’étudiants échouent en 1ère ou 2ème année et quittent l’université sans diplôme. D’après le texte du Sénat "Taux d’échec trop élevé en premier cycle universitaire (2003)" http://www.senat.fr/rap/a03-074-5/a03-074-515.html#toc217 :

"En 2002-2003, comme l’illustre le tableau ci-après, 46,2 % des étudiants entrés en 2001-2002 en première année de premier cycle universitaire (IUT et formations universitaires d’ingénieurs inclus) sont passés en deuxième année ; 29 % ont redoublé leur première année et 24,8 % sont sortis du système universitaire..."

1/4 des entrants quitte donc l’université après un an, sans diplôme. ...

On peut estimer que 40 % des bacheliers quittent l’enseignement supérieur sans diplôme : il y a un immense gâchis !

Heureusement, l’université proprement dite ne reçoit que 45 % des bacheliers qui continuent leurs études : 10 % vont dans les classes préparatoires aux Grandes Ecoles (où environ la moitié réussira à entrer), 30 % préparent un diplôme de Technicien supérieur (BTS) et 15 % entrent dans un Institut universitaire de technologie (IUT). Ces trois autres filières, fréquentées par les meilleurs bacheliers, préparent bien à un emploi.

Malgré les filières qui préparent mal à un emploi, les diplômés de l’enseignement supérieur universitaire en trouvent un au bout d’un temps plus ou moins long, comme on le voit sur le graphique ci-dessous, issu du livre de l’INSEE "France, portrait social 2005-2006" page 201 :

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Chômage des jeunes, avec ou sans qualification

Taux de chômage selon le diplôme, de 1 à 4 ans après la fin des études

Les étudiants sortis d’une Grande Ecole d’ingénieurs, de commerce ou de management, trouvent même un CDI très vite, et ceux qui ont fait un IUT ou un BTS en trouvent un en général au bout de quelques mois à un an de stages et d’emplois en CDD.

Ce que les étudiants devraient réclamer

D’après ce qui précède, il faudrait d’abord réduire la proportion de 40 % d’étudiants qui sortent sans diplôme de l’enseignement supérieur, après y avoir perdu 1 à 2 ans et parfois plus.

Pour cela deux types de mesures s’imposent, mesures documentées en détail dans l’étude "L’enseignement victime de l’idéologie" et l’étude "Chômage : savoir et agir" :

- Relever le niveau du baccalauréat, à l’évidence insuffisant pour suivre les études de la plupart des filières universitaires. Puisque le baccalauréat constitue l’unique examen d’entré à l’université, il faudrait cesser de le donner à une grande partie des 80 % de jeunes qui le réussissent malgré d’énormes lacunes et l’absence d’habitude de l’effort.

- Mettre en place un service public d’orientation sérieux, qui prenne en charge chaque jeune avant son inscription dans l’enseignement supérieur, et lui conseille une filière à sa portée et débouchant sur des emplois.

Il faut ensuite limiter l’accès dans chaque filière en tenant compte du nombre prévisible d’emplois à la sortie. Il est scandaleux, par exemple, d’avoir chaque année plus de 10 000 inscriptions en STAPS pour 400 places à la sortie. Si nécessaire, il faut imposer des concours. Pourquoi le pays devrait-il payer les études de futurs chômeurs ? Pourquoi devrait-il se priver de leur travail pendant qu’ils font ces études inutiles ?

Il faut aussi relever le niveau des universités : toutes les comparaisons internationales montrent que les diplômes des universités françaises sont de faible niveau par rapport à ceux des grandes universités américaines (Harvard, Stanford, MIT...), ou de Cambridge et Oxford en Angleterre. Les étudiants qui ont un diplôme apprécié trouvent plus facilement du travail - et avec un meilleur salaire - que ceux des universités de second ordre.

...

Les étudiants et le Contrat première embauche

Au lieu de réclamer de meilleures études, comme expliqué ci-dessus, les étudiants ont demandé l’abrogation du CPE.

- On comprend qu’ils aient été vexés par la possibilité d’être licenciés sans explication. En fait, le Premier ministre, dont c’est là une première maladresse, avait seulement voulu que le licenciement ne puisse pas donner lieu à contestation devant un tribunal, car c’est une des premières causes de crainte d’embaucher citées avec raison par les entreprises.

Selon [1], en effet, en 2004 un peu plus d’un salarié sur 4 ayant fait l’objet d’un licenciement pour motif personnel a saisi le conseil de prud’hommes, et un salarié sur 40 lors des licenciements économiques. Et aller en justice coûte très cher en perte de temps et en argent.

Mais au lieu d’expliquer ce point, le Premier ministre a tenté de l’imposer, et les jeunes sont descendus dans la rue.

- On comprend que les étudiants aient refusé une période d’essai de deux ans. Dans aucun métier une telle durée n’étant nécessaire, cette clause a été ressentie comme la précédente, comme une vexation. Pour eux, si jeunes que deux ans constituent une longue période, la loi prévoyait une possibilité de licenciement pendant si longtemps qu’elle créait une insécurité d’emploi insupportable ; comment, dans ces conditions, s’installer dans un appartement, obtenir un prêt, etc. ? Cette clause constituait une deuxième maladresse.

- On comprend que les jeunes veuillent être traités comme les autres salariés. Ils perçoivent la création d’un contrat spécifique comme une discrimination. Et - ne riez pas ! - ce contrat s’ajoutant aux 22 autres déjà listés dans [3], qui peut croire au vu de notre taux de chômage voisin de 10 % depuis 1984 qu’un contrat de plus le fera vraiment baisser ?

...

Du reste, le Code du Travail lui-même est un monument occupant 2632 pages format 14 cm x 19.5 cm aux éditions Dalloz (2005 - 67ème édition). Cette édition comprend plus de 600 articles modifiés depuis l’édition précédente (2004).

C’est ridiculement complexe. A force de tout réglementer, les gouvernements successifs de la France tuent de plus en plus le dialogue social, car les partenaires sociaux se réfugient de plus en plus derrière des textes officiels au lieu d’essayer de résoudre les problèmes en formulant des propositions innovantes et en négociant.

A l’évidence, en France, au lieu de traiter les problèmes au fond, on empile des lois pour des cas particuliers, si nombreux aujourd’hui que plus personne ne s’y retrouve.

- En fait, les jeunes d’aujourd’hui constituent une génération apeurée. Les étudiants qui ont manifesté, occupé des facultés et des lycées, et bloqué des moyens de transport, se sont comportés comme s’ils avaient si peu de chances de trouver un emploi et de le garder qu’ils avaient besoin de la protection de la loi pour contraindre les entreprises à les garder même lorsqu’elles n’ont plus besoin d’eux.

En somme, les étudiants ont considéré qu’ils avaient si peu de valeur professionnelle qu’ils ne pouvaient trouver (ou retrouver) un emploi ; par conséquent, si un patron avait commis l’imprudence de les embaucher, il fallait que la loi lui interdise de les licencier. C’est pourquoi un contrat comme le CPE, qui facilitait le licenciement, était inacceptable.

Ce raisonnement est faux, parce que même un contrat CDI ne peut guère protéger un jeune, dont l’ancienneté dans l’entreprise est minime ; il peut être licencié au prix d’indemnités peu coûteuses.

...

Et il est lamentable, parce qu’un jeune qui a étudié doit avoir confiance en lui-même et dans l’avenir, au lieu de le redouter et de chercher avant tout un emploi stable, comme un quinquagénaire. C’est ainsi que M. Francis Mer, ancien Ministre de l’Economie qui connaît donc très bien les administrations, écrit dans [2] :

Page 31 : "Les sondages montrent que tous les Français ou presque souhaitent devenir fonctionnaires, ce qui est évidemment inquiétant puisque cela veut dire recherche de garantie, recherche de protection, absence de confiance dans l’avenir."

Page 40 : "Beaucoup de Français voudraient arrêter la pendule de l’histoire parce qu’ils n’aiment pas ce monde qui change trop vite à leur goût et qu’ils n’ont pas assez confiance en eux pour affronter ces mutations avec sérénité."

[M. Mer pense sans doute à la panique qui s’empare de beaucoup de ses concitoyens quand on évoque la puissance des multinationales et de la mondialisation, ou le risque de voir des plombiers polonais arriver en France...]

En fait, l’erreur fondamentale que font 90 % des Français, jeunes ou non, est de croire que pour protéger l’emploi il faut des lois contraignantes. Ce qu’il faut, en réalité, c’est ce qu’on appelle « la flexsécurité » au Danemark :

- c’est protéger le salarié, en l’indemnisant correctement en cas de chômage, tout en l’accompagnant de manière efficace dans sa recherche d’emploi ;

- c’est que le salarié protège son employabilité, c’est-à-dire qu’il garde une qualification recherchée sur le marché du travail jusqu’à sa retraite, en mettant à jour sa compétence au fur et à mesure. Ainsi, en cas de licenciement, il retrouvera rapidement du travail. C’est ce qui se passe dans les pays à économie saine et chômage très faible, comme l’Irlande, le Royaume-Uni, le Danemark ou les Etats-Unis.

Ces points sont discutés dans "Proposition : protéger l’employabilité au lieu de l’emploi".

Et comme à aucun moment le Premier ministre n’est venu expliquer cette erreur de raisonnement, on a là une troisième maladresse de sa part.

La triste vérité est que les étudiants ont plus manifesté pour exprimer :

- leur peur de l’avenir ;

- leur refus de la société moderne, où l’évolution des entreprises est rapide du fait de la mondialisation ;

- leur demande d’un emploi stable, de type fonctionnaire, où l’on ne se fatigue pas trop et la retraite est assurée. Comme disait Mark Twain à propos de cette mentalité : « Mort à vingt ans, enterré à soixante »

que contre le CPE. Et ils ne sont que le reflet d’ils ne sont que le reflet d’une société française apeurée et sclérosée [5].

...

Une gouvernance technocratique

Le Premier ministre a tellement concocté le CPE sans en parler à personne (cinquième maladresse), que même ses collègues ministres n’ont pas été consultés. Il n’a pas davantage consulté ou seulement informé les partenaires sociaux. Il n’a pas, non plus, consulté des économistes, qui lui auraient expliqué pourquoi le CPE - frère du CNE - avait peu de chances de créer un nombre significatif d’emplois supplémentaires. Il n’a pas, non plus, demandé leur avis aux députés de sa propre majorité, qu’il considère à l’évidence comme une chambre d’enregistrement tenue de voter tout ce qu’on lui demande.

En ignorant tous ces acteurs, le Premier ministre s’est comporté en technocrate, qui les méprise au point d’éviter de perdre son temps à discuter avec eux. Technocrate encore, lorsqu’il a commis les erreurs psychologiques du licenciement sans justification et de la période d’essai de deux ans. Technocrate, enfin, lorsqu’il n’a, à aucun moment, pris une heure à la télévision pour expliquer aux Français son espoir de faire un peu baisser le chômage des jeunes grâce à un peu plus de flexibilité pour les entreprises. Technocrate et sûr de lui, car un homme politique prudent aurait présenté le CPE comme un test sur lequel on pourrait revenir dans six mois.

...

Le CPE ne sert à rien, ou presque

Nous avons vu que le chômage des 15-24 ans ne dépasse pas 7.8 %. Il est donc inférieur au taux national début 2006, tous âges confondus, de 9.6 %. A quoi bon, alors, faire une loi spéciale pour les jeunes ? Il valait mieux progresser en direction de la « flexsécurité » à la danoise pour tous les salariés, mais notre gouvernement n’a pas eu le courage de s’attaquer pour cela au Code du Travail, sacro-saint aux yeux des syndicats.

Le vrai problème du chômage des jeunes, en France, est d’abord celui des 158 000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans diplôme (21 % du total des 745 000 jeunes qui terminent l’enseignement chaque année). C’est ensuite le problème de nos 2.3 millions d’illettrés : 9 % des personnes ayant été scolarisées en France sont en situation d’illettrisme. Des personnes lisant très difficilement ou en échec scolaire grave ne peuvent le plus souvent apprendre un métier, et se condamnent donc au chômage.

Plusieurs études économiques ont montré qu’il y a en France un taux incompressible de chômage, appelé chômage structurel, de l’ordre de 9 %. C’est un chômage dû :

- (pour l’essentiel) à l’inadéquation des qualifications des chômeurs aux emplois offerts. Même si l’économie se mettait à croître, donc à créer des emplois, ceux-ci ne pourraient pas être occupés par des gens dont la qualification est inadéquate. Et on a beau faire pour les former, il y a trop de choses qu’un illettré ne peut apprendre ;

- au manque de mobilité géographique et professionnelle (refus de déménager ou de changer de métier) ;

- aux salariés de niveau modeste devenus trop coûteux du fait des hausses du SMIC, qui ont atteint 11 % sous le gouvernement Raffarin, rendant ainsi de nombreux travailleurs trop chers pour être embauchés ;

- au faible intérêt financier, dans certains cas, pour un chômeur à reprendre un emploi.

Notre chômage actuel de 9.6 % étant voisin du taux structurel, il n’existe aucune mesure à court terme qui puisse le réduire vraiment.

C’est ainsi, par exemple, que les 500 000 « Emplois à la personne » en équivalent plein temps que le ministre J-L BORLOO a promis de créer ne peuvent être des emplois supplémentaires. L’argent payé à un tel salarié serait pris sur d’autres dépenses de la personne qui l’emploie, dépenses qui correspondent au travail d’autres salariés, ailleurs, dont l’activité baisserait. Il y aurait donc transfert et partage d’activité, pas création d’emplois.

La seule manière de créer des emplois en plus, c’est d’augmenter l’activité totale, par exemple en faisant travailler des personnes jusque là inactives, qui font garder leurs enfants par un salarié qu’elles paient. Et il n’y a guère de chances d’augmenter ainsi de 500 000 (c’est-à-dire 2 % de la population active) le nombre de travailleurs...

Il est évident qu’un chômage dû aux causes structurelles ne saurait diminuer du fait de nouveaux contrats de travail, si innovants qu’ils soient. Mais pour un politicien le mot « structurel » est tabou, car il interdit de promettre à son électorat des résultats à courte terme. On ne peut faire baisser le chômage structurel qu’avec une amélioration significative de notre système éducatif (qui en a terriblement besoin), et ce dès le Cours Préparatoire, ce qui demanderait des années avant de produire un résultat visible. Or avec des législatures de 5 ans, aucun gouvernement ne dure assez longtemps pour s’attaquer avec succès à l’obstruction inévitable que feront beaucoup d’enseignants face à une réforme en profondeur de l’enseignement...

Comme le CNE, le CPE ne pouvait être qu’une mesurette de plus, créant un nombre minime d’emplois supplémentaires au prix de dégâts psychologiques considérables.

Le remplacement du CPE

Devant la pression de la rue, le président Chirac et son Premier ministre ont fini par céder. Ne voulant pas reconnaître leurs multiples erreurs et avouer leur défaite - belle preuve de manque de courage et d’honnêteté intellectuelle - ils n’ont pas abrogé le CPE, ils l’ont remplacé par des dispositions sans rapport avec celles du CPE. Ces dispositions oublient le licenciement sans explication et la période d’essai de deux ans, pour se limiter à offrir davantage d’argent des contribuables aux entreprises qui consentent à embaucher des jeunes sans diplôme.

Bien entendu, malgré l’effet d’aubaine, il est probable que peu d’entreprises embaucheront des jeunes sans qualification, en échec scolaire et en révolte contre la société, et les nouvelles dispositions en faveur de l’emploi des jeunes s’avéreront être une mesurette de plus.

...

Tant que les gouvernements successifs de la France ne s’occuperont que des images télévisées de leur action et des sondages, en vue de la seule prochaine élection, tant qu’ils laisseront bafouer les lois républicaines et distribueront un argent qu’ils n’ont pas aux frais des générations suivantes, tant qu’ils n’oseront pas expliquer aux citoyens que seule une économie libre peut créer des emplois, tant qu’ils céderont systématiquement à des syndicats rétrogrades qui ne représentent que 8 % des salariés, la France continuera à régresser et à être la risée des médias des autres démocraties.


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